Requiem pour un mazagran
Il y a plus de dix ans...
Ma grand-mère paternelle était encore en vie, veuve, et souvent je lui rendais visite... Une jeune vieille dame, blonde avec de beaux yeux bleus et un sourire auquel le mien ressemble un peu... toujours à l'écoute des autres, toujours avec sa bonté, à écouter mes petites histoires d'étudiante, à me réconforter parfois ("mais si, tout le monde trouve chaussure à son pied!"), à me raconter ses histoires à elle et ses souvenirs, à me montrer ses photos (sa mère, son père, et aussi un jeune cousin beau comme un dieu qui était fou d'elle en secret et qui est parti mourir à la guerre quand elle s'est mariée)...
Toujours après le repas, on buvait le café dans deux mazagrans de terre tout simples, aux fleurs peintes C'est moi qui versais le café en poudre, l'eau, et qui lui donnais son café dans le plus beau des deux. Je ne sais même plus d'où elle les tenait, peut-être de ce Portugal où elle a passé sa petite enfance.
A sa mort j'ai demandé à avoir les mazagrans.
Et je les avais sortis un jour pour le café, en me disant que c'était dommage de les utiliser si rarement... je les ai regardés, en me disant qu'il fallait en profiter et les regarder avant qu'ils ne cassent tôt ou tard.
et Porco a cassé le sien en le posant sur la table du salon : il ne regardait pas, il avait déplacé son fauteuil, il devait regarder la bébée, ou la télé, ou les deux.
Quant il me l'a dit, j'ai cru à une mauvaise blague à sa manière.
Ce n'est qu'une tasse, et il me reste l'autre... mais ça me fend le coeur qu'il ait tué un peu de ces souvenirs là, sans un mot d'excuse et sans un "désolé"...
Six mois après, le mazagran est dans sa vitrine... et je n'ai pas pu me résoudre à jeter l'autre, je l'ai mis à côté, le côté abîmé contre le mur.... (il est inutilisable bien sûr mais ça ne se voit pas).